Rendez-vous de la pierre, de l'eau
et du sacré en Haute-Corrèze.

Bien qu'il soit d'origine italienne Lucien Bégliomini (L.B. : deux initiales qui commencent à être fort connues jusqu'au delà de nos frontières), dont le matériau va du plâtre brut et du kaolin à la fibre de verre et au polystyrène, n'est pas un disciple de Piero Manzoni…

L.B. utilise ce qu'il trouve dans le ventre noble de la terre : le granit et le trachyte, ou dans l'épopée du vent, tel que les chênes et les noyers. D'autre part, pour être figuratives, les formes qui naissent de son imagination sont moins réalistes que symboliques, moins vivantes que gestes de vie, moins classiques qu'universelles, et c'est pourquoi L.B. n'est anachronique pour aucune époque, pas plus de celle qui émerge de la préhistoire que de l'actuelle, en passant par les masques mycéniens, le Mexique précolombien ou les étrusques, voire les gargouilles et autres glyptiques de nos châteaux, églises et cathédrales. En regardant ce calvaire on pourrait croire qu'il n'est qu'une ébauche oubliée par Adam et Eve dans le paradis dont Dieu les a débusqués : le corps n'est nullement disloqué par le supplice, le visage n'est ravagé par aucun désespoir, nulle part on ne décèle une fuite vers une quelconque psychopathie. Ce calvaire est une sorte d'éternité figée dans une tranquillité où n'importe quel homme peut venir réfléchir sur le sens de sa vie. Par ce calvaire, L.B. ne renoue pas seulement avec ces troubadours de la sculpture qui ont écossé des centaines de croix le long et aux carrefours de nos charrières, mais révélé ce qui importe le plus à l'homme : la méditation qui apaise les tourbillons de l'existence, telle une vague qui vient s'étirer et dormir sur une grève, ou dans une extase que Sainte Thérèse d'Avila situait au faîte des “Chateaux de l'Âme” ou, encore, et pourquoi pas, dans les yeux envoûtants de L.B. si vous avez la chance de le surprendre quand il se croit seul et que, pour lui, le temps n'existe plus, tandis que s'annonce le crépuscule et que le monde se recueille dans cette paix où l'esprit créateur s'éveille et prend son essor fulgurant.

Voyez aussi cette fontaine où l'eau danse avec la pierre et l'enlace et n'en finit pas de “s'éclater” de vasque en vasque, de dégringolade en cabriole, de rires en chansons ; une eau qui, pour mieux habiller ce bloc de trachyte, retient son souffle dans des berceaux de glace, des dentelles luminescentes, des caryatides et des cierges de première communion cloqués de cire… où flambe, tour à tour, l'éclat des lointaines galaxies ou celui, plus proche, de la lune et du soleil !

On aimerait en voir partout de ces fontaines où entreraient en symphonie les cris jubilants des oiseaux, ivres d'arcs-en-ciel et d'étincelles d'eau, le regard émerveillé des hommes fatigués, les corps nus des vestales ou de l'épouse du “Cantique des Cantiques”. Cela nous changerait des colonnes de Buren et des parallélépipèdes monumentaux que vomiraient Prométhée et, assurément, les dieux grecs.

L. B. témoigne du dernier relais où la relativité généralisée d'Einstein flirte encore avec la mécanique d'indétermination de Max Plack et de Dirac, avant que la science ne s'enferme dans une mécanique axiomatisée et entropique, formule considérée comme imminente par Stephen Hawking (1) dont la vie frémissante serait exclue avec ses calvaires et ses fontaines, ses passions et ses rédemptions, ses contraintes et sa liberté, son pragmatisme et ses rêves !

André NICOLAS

(1) In “Commencement du temps et fin de la physique” (Flammarion)

(article paru dans "l'Essor" - Corrèze)